~ * Exil * ~

Je soupire… Le froid s’empare de moi, j’ouvre les yeux. Encore une nuit ratée.

Je suis allongée sur mon lit, à l’intérieur du Black Phœnix. Mes couvertures sont tombées au sol et Night Howl en a profité pour s’y allonger paresseusement. Ma main frôle son poil doux et soyeux. J’ai pris l’habitude de toujours dormir à ses côtés, à moins d’une distance de bras de lui. J’ai ouvert les yeux paresseusement, le nez dans mon oreiller. Il est réveillé, je le sais. Le doux murmure de ses rêves sauvages s’est estompé dans mon cœur, me laissant avec les réflexions de mes propres rêves. Je me redresse, m’étirant et j’attrape ma cape, une de celles qui n’est pas couvertes de poils gris ou déchirée par des crocs.

« Je vais faire un tour, continue de dormir, petit frère. »

Il n’y a que moi qui fait des insomnies, pas la peine que j’entraîne Night avec. Je sors, laissant le loup prendre place sur mon lit, plus chaud que le sol. Tant pis pour les poils, me dis-je. Soupire encore, je sors de la chambre. Le couloir de l’YT-1300 est désert et froid. Le vaisseau semble mort, au repos depuis des années. La rouille s’est installée partout où elle le pouvait. Je me demande si je pourrais encore décoller un jour de cette planète. Ce qui est loin d’être mon premier soucis pour le moment.

Je resserre la cape autour de mes épaules. J’ai maigris en cinq ans. Et je n’étais déjà pas fort grosse… Mon régime alimentaire n’a jamais été très équilibré, en fait, mais je mange, je bois et je continue de marcher, c’est tout ce qui compte. Je laisse le couloir menant vers le poste de pilotage pour me diriger vers la porte qui donne sur l’extérieur. Elle est fermée pour palier contre le froid. J’en abaisse le levier et elle lâchera un cri aigu en s’abaissant.

Un vent froid me heurte le visage et fait voleter ma cape. Je descends. Dehors, la neige recouvre le paysage.

La neige… Encore un soupir. Encore un hiver sur Wayland…

La porte se referme derrière moi. Mes pas crissent sur le manteau blanc. Je suis un petit chemin tracé dans l’herbe par Night Howl et moi depuis des années. Il mène à une aile de la base sith complètement détruite : notre résidence d’été. Lorsque le soleil tape dans la vallée, nous dormons dehors, à la belle étoile. Je suis moins encline aux insomnies quand je dors dehors, et cela même si je ne rechigne pas contre le confort d’un lit douillet.

Je contourne les murs démolis de moitié et continue mon chemin. Au loin, la forêt paraît soudainement petite, comme écrasée sous le poids de la neige. Je m’enfonce déjà jusqu’aux chevilles quand finalement je m’arrête et prend place en hauteur sur un rocher. Je sens là le faible amusement du loup qui se moque parfois de me voir peiner dans la neige alors que lui semble toujours voler par dessus cette couche traîtresse.

Assise sur mon rocher fétiche, j’observe les arbres sous le levé tardif du soleil. La faune et la flore se réveillent doucement. Tant de vie autour de moi, et pourtant je me sens seule au milieu d’un enfer blanc.

« Je suis là, petite sœur » murmure une voix dans mon cœur. Oui, il est là… et il est bien le seul.

Je ferme lentement les yeux lorsque je sens quelque chose de froid tomber sur mon visage. Il recommence à neiger. Et c’est là que nous nous félicitons d’avoir chasser assez pour deux jours hier, en espérant que demain le temps s’arrangerait. Night est repu et moi je sors un fruit sec de ma poche. Une sorte de grosse châtaigne en plus comestible. Je ne suis pas douée en jardinage…

Je sais que j’ai choisi de m’exiler du monde, et je ne le regrette pas. Mais parfois, cela me pèse. Parfois, j’aimerai savoir ce qu’il en est. J’aimerai prendre le risque de baisser mes murailles et d’accueillir à nouveau cet immense fleuve en moi pour en aspirer les détails, savoir… Mais je le restreins toujours à une petite rivière, qui me permet juste d’utiliser mes pouvoirs sans que personne ne me retrouve. Du moins, je l’espère. Personne n’est jamais venu me chercher en cinq ans…

Night Howl vient de prendre place à côté de moi. Il a grandit, lui. Alors qu’avant il tenait sur mes genoux, le petit louveteau ! Assis, il me dépasse et arrive à la hauteur de ma taille lorsque nous marchons. ( De mes hanches lorsque je m’enfonce dans la neige ). Je pose une main sur ses épaules robuste et laisse les muscles courir sous ma paume dans une caresse. Il s’inquiète pour moi, je le sais. Il le fait toujours lorsqu’il sent mes pensées se détacher. Et alors il colle son museau contre ma joue. C’est chaud et humide, mais c’est sans doute le seul contact que je supporterai un jour après ce que m’a fait Aranel…

C’est peut-être même le seul que je recevrai encore. En fait je n’en sais rien. Pourquoi je pense à ça… Je devrais faire comme Night Howl et ne penser qu’à l’instant présent. Cette neige qui tombe des lourds nuages gris, aussi clairs que mon petit frère, ce vent qui caresse ma peau, les sons d’une forêt qui s’éveille lentement. Envie de chasser, envie de courir, envie de jouer et de se battre pour rire. Et voilà comment le loup mêle ses pensées aux miennes pour m’entraîner dans la neige. Je cours, nous nous battons. J’évite ses attaques sournoises et le plaque au sol mais il est plus costaud que moi et reprend vite le dessus. Il mord mon bras, sans déchirer la chair. Je roule dans la neige et il m’attaque de nouveau alors que je suis à terre. La morsure du froid semble soudain disparaître, balayée par une chaleur étrange ressemblant à de l’excitation. Je me libère et je cours à nouveau. Il est plus rapide que moi et me frôle avant de disparaître parmi les arbres.

Et voilà qu’une partie de cache-cache commence…